01/03/2019 : Retour sur la journée "l'innovation au défi du social" du 19 décembre 2018

Le 19 décembre dernier, s'est tenu un colloque organisé par différents acteurs de l'écosystème GNIAC et membres du réseau, réunis autour de la thématique de "l'innovation au défi du social" .

Yannick BLANC qui participait à cette journée en a dressé un bilan. Le voici ! 

Sachez que la dynamique va se poursuivre en 2019 et que GNIAC y apportera son soutien opérationnel (participation aux groupes de travail, préparation du colloque de suivi fin 2019).

 

Retrouvez le programme de la journée du 19 décembre 2018 Pour-une-innovation-sociale-au-service-des-urgences-les-plus-cruciales.pdf  et la tribune co-signée par GNIAC et diffusée à l'occasion dans les médias  Tribune-V7nov2.pdf

 

Yannick Blanc et André Jaunay

L’innovation au défi du social

L’innovation sociale permet-elle de traiter des problèmes sociaux majeurs ? Ses faibles niveaux d’impact, mais aussi d'exigence, nous ont conduit à poser cette question. Comment, par exemple, se satisfaire de l’annonce de 30 000 stages de découverte des métiers pour les élèves de 3ème lorsque l’on sait que le besoin est supérieur à 300 000 ?

La philanthropie, le mécénat d’entreprise et la RSE n’échappent pas à ce même constat : le caractère généreux comme la dimension inventive des initiatives désarment les exigences de l’évaluation ; les projets foisonnent, se démarquent, se concurrencent, s'égalisent sans égard pour leur pertinence ; la communication, privée et publique, privilégie le lancement des opérations mais néglige les impacts. Soit beaucoup d'efforts privés et publics pour peu de résultats.

Ce constat et la recherche d’impacts étaient l’objet d’un colloque tenu à Bobigny, au siège du Conseil départemental de la Seine-Saint-Denis, le 19 décembre dernier. Voici les enseignements que nous tirons de ses travaux.

L’innovation sociale se prête mal à une définition normative ; innover, n’est-ce pas d’abord s’affranchir des normes existantes, que celles-ci soient légales, économiques ou qu’il s’agisse tout simplement de la force des habitudes ? Toute initiative, toute invention n’est pas pour autant une innovation sociale, elle ne peut y prétendre qu’en répondant au minimum à deux critères : être conçue par et avec ses bénéficiaires ; avoir pour finalité l’intégration dans les usages et la modification des comportements individuels et collectifs.

Maria Nowak, fondatrice de l’ADIE, n’a pu instituer le micro-crédit en France qu’avec le soutien du Gouvernement et du Parlement puisqu’il fallait modifier la loi, et en partenariat avec les banques. Elle considère elle-même son succès comme relatif puisque l’ADIE gère environ 20 000 prêts par an alors que le besoin est au moins de 100 000. Pourtant le coût de l’accompagnement des créateurs est en moyenne de 2000€ contre 10 000€ pour l’insertion dans l’emploi salarié.

Le projet « Territoires zéro chômeur de longue durée » consiste à convertir les prestations versées aux chômeurs de longue durée en moyens d’investissement pour créer des « entreprises à but d’emploi » qui embauchent ces chômeurs en CDI pour des services d’utilité sociale. Une loi d’expérimentation a autorisé la réaffectation des prestations sociales. Au vu des premiers retours d’expérience des dix territoires pionniers, de nombreuses collectivités territoriales sont d’ores et déjà candidates à l’extension de l’expérimentation. L’innovation sociale ne peut pas être traitée comme une expérimentation de laboratoire. Expérimenter veut dire oser, risquer l’échec, observer et évaluer mais aussi laisser du champ à l’émergence de dynamiques nouvelles.

La Bagagerie mains libres est un lieu ouvert dans le quartier des Halles à Paris, permettant aux SDF de déposer leurs affaires en sécurité, de préparer leur alimentation et d’avoir accès à divers services. Cette action, lancée par un militant d’ATD Quart Monde, est copilotée par les SDF et les ADF (avec domicile fixe). Les règles de fonctionnement ont ainsi été co-élaborées progressivement. Si le financeur suit de près l’activité (le taux de fréquentation), l’impact social est purement qualitatif : les relations des SDF avec les habitants du quartier sont meilleures, la prise de responsabilité des SDF est claire, etc.

Dans le cadre de son Agenda 21, le département de la Gironde a lancé une politique d’appui à des projets locaux de transformation radicale des pratiques (de restauration collective, de traitement des déchets, etc.). Un « lab mobile » se déplace dans les communes pour outiller les projets grâce aux méthodes du design social. Celui-ci rompt avec la notion d’étude préalable et accompagne les initiatives en élaborant des scénarios à partir de l’objectif défini par les porteurs de projet. Le facteur-clé de réussite de la démarche est la posture adoptée par le conseil départemental, en rupture avec une tradition tutélaire et clientéliste : il mobilise des moyens et des compétences mis à la disposition des acteurs sociaux, favorise la rencontre entre les projets (“Cousinade” annuelle), sans chercher à s’approprier leurs initiatives.

Une caractéristique commune émerge de ces expériences : l’innovation sociale n’oppose pas la société civile aux institutions.

Premier constat : la capacité d’initiative est forte. Le moteur de recherche du Carrefour des innovations sociales, ouvert depuis quelques mois, recense déjà près de 13 000 fiches d’innovation sourcées par plusieurs dizaines de structures publiques, coopératives ou associatives.

Deuxième constat : le niveau d’exigence quant à la pertinence et à l’efficacité des actions dépend moins de dispositifs de contrôle ou de sélection que de l’existence de véritables communautés d’action, c’est-à-dire de l’engagement conjoint, décloisonné, d’une pluralité de parties prenantes (institutions, associations, entreprises, salariés, habitants et bénéficiaires) sur les objectifs, la méthode, les critères d’évaluation, à des échelles territoriales qui permettent à la confiance de s’établir sans trop de préalables parce chacun sait qui est qui.

Mais pour passer du stade expérimental à l’usage commun, un cadre d’animation, de partage d’expériences et de dialogue est indispensable, cadre qui peut être institutionnel ou non. Pour ce qui est de l’action publique, des évolutions sont nécessaires. En premier lieu, une véritable politique des normes. Invoquer rituellement, à titre d’exorcisme, l’impératif de simplification ne convainc plus. Il faut systématiquement mettre en question l’environnement normatif au regard des objectifs de l’action, des capacités d’action existantes et des valeurs éthiques que l’on défend (la société inclusive, l’égalité des chances, l’accès aux droits…). Il faut, comme dans le cas de Territoire zéro chômeur ou du micro-crédit, inverser la logique en allant de l’action à la norme nécessaire et non de la loi à son application. Il faut admettre que l’expression de la volonté générale se diffracte dans la diversité des initiatives. C’est un changement de culture radical pour les agents publics mais aussi pour les politiques, prompts à voter de nouvelles lois pour réagir aux circonstances. En deuxième lieu, il faut faire de l’accompagnement de l’innovation (ingénierie, transfert de compétences, expertise, évaluation) une mission de service public, développer les métiers correspondants et rémunérer les professionnels qui les exercent. En troisième lieu, il faut considérer le financement de l’innovation comme un investissement social, avec sa part de risque et son objectif de retour sur investissement.

Si l’on veut faire de l’innovation sociale une ressource pour transformer les politiques publiques, il faut donc commencer par en faire une politique publique. L’avènement de la Vème République avait coïncidé avec l’apogée de l’État tutélaire, stratège et protecteur, ordonnateur de la modernité industrielle et sociale. Au tournant du XXIème siècle, l’État a abandonné cette posture dans le domaine de la politique industrielle et de l’innovation technique et a su remplacer la planification et les grands projets industriels par le crédit d’impôt-recherche et les pôles de compétitivité. Il lui faut encore opérer une mutation analogue dans le champ social. Il s’agit de faire confiance aux acteurs sociaux comme on a fait confiance aux entreprises pour innover.

De manière pratique et en responsabilité, les porteurs de la dynamique de Bobigny vont apporter leur propre contribution, basée sur les principes :

  • d’exigence d’impact : les priorités, nationales ou territoriales, doivent être traitées avec efficacité et de façon générale,

  • de transversalité : il importe de mobiliser l’ensemble des acteurs concernés, quelles que soient leurs fonctions (opérationnels, chercheurs, habitants- usagers, etc.) et, leurs univers (public/privé, social/environnemental, etc.). Cela est essentiel pour définir des priorités communes, stimuler et tester les innovations, et pour sortir des entre soi qui pénalisent notre pays.

Cet engagement se traduit concrètement. Cinq groupes de travail vont avancer sur les sujets abordés à Bobigny (stage de 3ème, création d’activité par les bénéficiaires du RSA, coopération entre innovateurs, association des habitants et bénéficiaires, nouvelles formes de travail), en prévoyant des rendez-vous périodiques, dont un bilan annuel, et cela sans créer de structure juridique nouvelle. Un nouveau colloque national sera organisé fin 2019.

Yannick BLANC et André JAUNAY , février 2019